De l’Ouragan au Rafale

De l’Ouragan au Rafale,
la genèse d’un avion de combat


Jean Coiffier

Le 7 novembre 2024, sous le ciel bien gris de l’Île-de-France, Reine Margueritte, qu’il nous faut chaleureusement remercier ici, nous avait donné rendez-vous sur le site de Météo-France à Trappes pour assister à une conférence donnée par des anciens de Dassault-Aviation sur l’avion de combat Rafale.

Outre des membres de l’AAM et de l’ANAFACEM, on comptait de nombreux anciens de chez Dassault, des membres des Vieilles Racines et des Ailes Arcysiennes, tous passionnés ou anciens professionnels de l’aéronautique, ce qui portait le nombre d’assistants à 32. Ensemble, nous avons pris un fort sympathique repas convivial (Photo 1) servi aimablement par le personnel du restaurant du site de Trappes, avant de nous diriger vers la salle de conférence.

Photo 1 : le repas sur le site de Trappes
(Photo R. Margueritte)

En préambule à la conférence, Maurice Imbard, secrétaire général de l’AAM et délégué Île-de-France, a présenté en quelques mots l’Association des Anciens de la Météorologie et le site historique de Trappes que la plupart de nos auditeurs découvraient.

Gérard Meyer, ingénieur au bureau d’études à l’usine prototypes de Saint-Cloud (Photo 2), nous a présenté l’aventure de l’aviation militaire à réaction en France, commencée avec la mise au point de l’Ouragan, mis en service en 1952. De conception assez classique, s’appuyant sur les standards des avions Bloch des années 1940, cet appareil était doté d’une voilure en flèche et était propulsé par un turboréacteur de construction britannique.

Photo 2 : nos conférenciers,
Gérard Meyer et Jean Taquet (photo Ph. Renault)

Le Mystère II qui lui succède entre en service en 1955. Il possède une nouvelle voilure à profil mince, L’angle de la flèche des ailes augmente et il est équipé de servocommandes hydrauliques. Le 28 octobre 1952, cet appareil, avec un major américain aux commandes, passe le mur du son. L’exploit est renouvelé par le pilote d’essai Roger Carpentier le 12 décembre 1952 suivi le 15 août 1953 par Jacqueline Auriol, qui devenait ainsi la première femme à passer le mur du son. Avec le mystère IV, la voilure est encore plus fine, le fuselage est affiné et l’angle de la flèche des ailes augmente. C’est avec cet appareil que Jacqueline Auriol bat le record mondial de vitesse féminin atteignant 1.151 km/h le 31 mai 1955. Enfin le Super-mystère B2 sera propulsé par un moteur ATAR, fabriqué par la SNECMA, qui lui permettra de passer le mur du son en vol horizontal.

Le Mirage III est mis en service en 1960. On passe désormais à l’aile delta avec une flèche de 45 degrés ; les entrées d’air sont latérales et la forme du fuselage suit la loi des aires*. Cet appareil est capable d’atteindre plus de deux fois la vitesse du son. Il est suivi en 1966 du Mirage F1 qui revient aux ailes en flèches munies de dispositifs hypersustentateurs** et d’un train d’atterrissage repliable dans le fuselage. Vient ensuite le Mirage 2000, mis en service en 1984 qui, reprenant la formule d’aile delta, dispose de gouvernes en matériaux composites et de commandes de vol électriques, puis le prototype expérimental Mirage 4000, biréacteur dérivé de l’appareil précédent avec une dérive entièrement en composites de carbone et adjonction de canards*** réglables en vol. Il sera ensuite modifié pour tester les technologies du futur avion de combat qui prendra le nom de Rafale.

Le Rafale (Photo 3) est né d’une coopération européenne avortée. Au tournant des années 1980, la France et d’autres pays d’Europe occidentale avaient besoin d’un nouvel avion de combat baptisé provisoirement Eurofighter. Plusieurs prototypes furent présentés mais la France qui tenait à disposer d’un appareil multi-rôles capable d’assurer toutes les missions dévolues à l’aviation de combat, et en particulier de pouvoir être opéré depuis un porte-avion, décide en 1985 de faire cavalier seul en développant le Rafale.

Photo 3 : le Rafale en Jordanie
(photo Dassault-Aviation, A. Paringaux)

Il s’agit d’un appareil à aile delta, équipé de deux réacteurs avec prises d’air semi-ventrales, pourvu de canards pilotés, couplés à la voilure, qui permettent d’améliorer sa manœuvrabilité à basse vitesse. Afin de pouvoir effectuer des missions à longue distance, il est équipé à l’avant d’une sonde lui permettant d’être ravitaillé en vol. Le premier vol du chasseur monoplace Rafale C s’est déroulé le 19 mai 1991 sur la base militaire d’Istres.

Ce fut ensuite au tour de Jean Taquet, ingénieur responsable d’aménagement du programme Rafale à l’atelier de Saint-Cloud (Photo 2) de nous décrire les différentes étapes de la conception et de la réalisation du Rafale. Dès 1980 les études menées par la société Dassault conduisent à reconnaître la faisabilité du projet d’un avion multi-rôles dont le contrat de développement sera notifié par l’État en 1988.

Le travail commence au Bureau d’études qui conçoit les différentes formules d’avion pouvant répondre aux besoins exprimés. Des essais de maquettes sont alors effectués en soufflerie et les études se poursuivent pour concevoir la structure de la cellule, effectuer les calculs de résistance des matériaux et imaginer les installations de bord. Les outils utilisés vont de la maquette numérique à la maquette transparente de taille réelle (Photo 4) permettant de voir l’implantation des divers matériels, la conception du poste de pilotage (Photo 5), dont l’aspect se simplifie singulièrement par rapport aux avions précédents, s’effectue en collaboration avec les pilotes qui sont évidemment les premiers intéressés. Viennent ensuite les essais au simulateur de vol et le passage au banc d’essai des commandes de vol qui, pour des raisons évidentes de sécurité, sont quadruplées et éloignées les unes des autres sur cet appareil (3 commandes numériques et une commande analogique).

Photo 4 : la maquette transparente du Mirage F1
(photo des intervenants)
Photo 5 : le cockpit du Rafale
(© Gilles Vidal – Musée de l’Air et de l’Espace)

C’est alors qu’il est possible de passer à la réalisation du prototype, impliquant une étroite collaboration entre le bureau d’études et l’atelier, avant que ce modèle soit présenté aux services officiels. Après de nombreux essais en atelier (commandes de vol, pressurisation de la cabine, commandes hydrauliques, résistance aux vibrations, essais en soufflerie), le prototype est transféré sur la piste de la base militaire d’Istres pour les essais en vol. Une préparation préalable s’effectue au point fixe sous la supervision du chef mécanicien. Enfin l’avion peut s’effectuer son premier vol dont toutes les phases sont suivies avec attention dans la salle d’écoute.

Après un démarrage assez lent et une production d’appareils essentiellement destinés aux forces aériennes françaises, il semble que l’engouement pour le Rafale se soit manifesté après l’engagement de cet avion lors des opérations qui se sont déroulées en Libye en 2011. Il a depuis engrangé de nombreux succès puisqu’il a obtenu des commandes de l’Égypte, du Qatar, de l’Inde, de la Grèce, des Émirats Arabes Unis et de l’Indonésie. Avec 495 avions livrés ou en commande ferme en 2024, Dassault-Aviation a prouvé un savoir-faire dont les ingénieurs qui nous ont fait cette présentation peuvent être fiers.

À l’issue des présentations, les conférenciers se sont fait un plaisir de répondre aux questions de l’assistance. Jean-Claude Hironde, ancien responsable technique de l’ensemble du programme Rafale intervenant même sur l’estrade. Il nous montre, dessins au tableau à l’appui (Photo 6), les avantages des trappes sous le fuselage permettant d’effectuer le remplacement d’un moteur dans un délai d’une heure ainsi qu’une explication détaillée des différents dispositifs développés pour assurer la maniabilité de cet avion pourtant instable.
Dans le futur le Rafale va encore évoluer pour se conformer au standard F5 et sera à même de piloter des drones d’accompagnement comme le Neuron dont le premier vol a été effectué en octobre 2012. Il préludera à la conception de l’avion de combat du futur baptisé provisoirement SCAF (Système de Combat Aérien du Futur).

Photo 6 : l’aérodynamique…
Mais c’est très simple, nous dit Jean-Claude Hironde
(Photos J.F. Louis, Ph. Marty)

À l’issue de cette conférence fort intéressante, les participants (Photo 7) se sont retrouvés autour d’un petit goûter permettant d’intéressants échanges et de sympathiques rencontres.

Photo 7 : les acteurs et actrices d’une conférence réussie
(Photo Ph. Marty)

Notes :
* La loi des aires énonce que la section transversale complète (fuselage et voilure) d’un corps en mouvement dans un fluide compressible doit varier de manière aussi régulière que possible afin de minimiser la trainée aérodynamique au voisinage de la vitesse du son.
** Les dispositifs hypersustentateurs déployés sur l’aile d’un avion servent à augmenter sa portance aux basses vitesses et abaisser ainsi la vitesse de décrochage.
*** Les plans-canards, ou tout simplement canards, sont des surfaces portantes placés en avant de la voilure de l’avion pour éviter le décrochage de l’avion aux très basses vitesses.
**** La maquette cristal du Mirage F1 est exposée au Musée de l’Air et de l’Espace au Bourget.